Depuis le XIVème siècle, la peste surgit régulièrement en Languedoc. L’épidémie de 1628-1632 est la plus cruelle, Toulouse en compte 50 000 victimes.
En 1628, Fronton vit une rude période : la guerre contre les protestants de Montauban continue ; la ville héberge à ses frais 4 compagnies du régiment de Ste Croix et accueille des réfugiés d’Orgueil, Nohic et Le Terme, incendiés par les protestants. La surpopulation et la destruction des récoltes entraîne la disette. Les délibérations des consuls de Fronton nous éclairent sur l’apparition de l’épidémie et les mesures prises.
Le premier cas de peste y est signalé le 23 octobre 1628. En visite chez son père tailleur à Fronton, le jeune Raymond Grossac de Labastide St Pierre, décède. Appelé par les consuls, le médecin constate la présence de « tumeurs », signes de « la maladie contagieuse », car « peste » n’apparaît jamais dans les textes. On fait « purifier » la maison et on interdit au père du défunt de sortir et rencontrer quiconque pendant 40 jours. Pour 60 livres par mois, un certain Pierre Dajdou s’offre à la communauté pour désinfecter toutes les maisons touchées, sachant qu’après chaque intervention il devra se mettre en quarantaine. La purification consiste à incinérer tout ce qui est de peu de valeur ou souillé, à laver meubles et planchers, à laver et exposer à l’air lingerie et draps, à brûler dans la maison des substances aromatiques, à y répandre des vapeurs de soufre.
Février 1629, la maladie sévit, notamment à Toulouse. L’assemblée de Fronton décide « que les forains n’entrent point dans ce lieu et que les habitants ne s’en aillent pas en autres lieux sans […] permission ». Elle interdit « les assemblées, les grandes fréquentations » et les prédications sur la place publique. Le prêtre dira la messe à l’extérieur de l’église et les capitaines du régiment de M. de Lamolinaire en garnison à Fronton interdiront aux soldats de sortir.
Toutefois, le 14 octobre, le tambour de la compagnie du capitaine Soleyras est retrouvé souffrant sur le chemin de Grenade. Le malade ayant logé à l’auberge de la Croix Blanche, les consuls décident d’y enfermer le tenancier Jean Bos et sa famille, de même que ses domestiques et ses clients, en leur fournissant vivres, drogues et médicaments. Après le décès de l’enfant d’un client, le groupe est transféré dans un cabanon à l’extérieur « pour faire la quarantaine plus commodément et ne pas rester dans une maison infectée ».
Les portes de la ville sont gardées en permanence. Il est aussi défendu aux habitants de recevoir chez eux toute personne venant de Montauban ou des villages alentour, eux aussi infectés, ou de s’y rendre. L’interdiction s’applique à tous : le sieur Granger, juge, se voit ainsi interdire le 28 juillet 1630 d’accueillir son frère de Montastruc, touché par le fléau. En juin 1631, Grenade, Montech, Grisolles, Pompignan et Castelnau sont aussi atteintes. Les consuls réitèrent l’interdiction d’en recevoir des habitants ou de s’y rendre. Deux gardes payés par la communauté sont placés à l’entrée de la ville et au bout du faubourg toulousain du côté de la route de Toulouse.
La discipline n’est toutefois pas la règle. Une délibération du 27 juillet nous apprend que « la plupart, au mépris des défenses qui leur ont été faites, y continuent journellement, se précipitant dans le danger ». Une amende de 25 livres est donc imposée en cas de manquement.
Les dénonciations vont bon train : en septembre 1631, une famille de Grisolles réfugiée dans un masatge (hameau) tout proche se voit expulsée… Octobre 1631, Marie Blanquete décède de la peste chez son père Pierre Triayre. L’enquête révèle qu’elle a été en contact avec son père, avec la nourrice de son enfant et deux autres personnes. Ils sont mis tous en quarantaine et le logis désinfecté. La contamination de la maison située sur le grand chemin de Fronton prive les habitants d’aller et venir sur ce chemin.
Le 7 mai 1634, la peste continuant de sévir à Montauban, les consuls demandent à ce que l’arrêt de la poste ne se fasse plus dans Fronton.
Les mesures prises par les consuls semblent avoir porté leurs fruits : certes le nombre de décès augmente, surtout en 1629 et 1631, mais pas de façon spectaculaire. On dénombre 86 décès en 1629 contre 55 en 1628, soit 56 % de plus et en 1631 79 décès contre 48 en 1630 soit 63 % de plus. Faute de recensement, l’impact démographique est difficile à estimer. Toutefois, à comparer le bilan de la peste avec celui de la guerre contre les protestants (316 en 1620) et du siège de Montauban (203 en 1621), on constate facilement que ce dernier est bien plus lourd…
Autrefois comme aujourd’hui, Fronton a su faire face à l’épidémie, grâce sans doute aux décisions fermes prises immédiatement par les consuls. Le parallèle avec ce que nous vivons aujourd’hui s’impose. Les mesures pour lutter contre les pandémies sont les mêmes qu’il y a quatre siècles : confinement, distanciation sociale, fermeture des « frontières » villageoises, hygiène, enquêtes sur les contacts, amendes. Au XVIIème siècle aussi, il n’existait aucun traitement contre cette « maladie contagieuse » ! Étrange écho à notre époque …
Chantal PITTIN, historienne
Sources : ADHG Délibérations consulaires, registre 1D1
Illustration : Emmanuel Labadie, Traicté de la peste divise en diagnostic, pronostic et curation avec des observations notables, Toulouse, Dominique & Pierre Bosc, 1620. Comme l’indique la préface du livre, l’auteur appuie son étude sur son travail de médecin auprès des victimes de la peste en 1607-1608, à Castelnau, Pompignan, Fronton et les communes d’alentour.